CatégorieDes pensées

Triste fantôme

T

Voilà qu’une force invisible me traverse. Je la sens comme un triste fantôme, vibreur d’ondes négatives à continuité tendue, qui insuffle de mots noircis sur page blanche humaine. Ce n’est pas là sa première visite. Le spectre est un visiteur familier des lieux.

Cette fois, l’accès lui sera difficile. J’ai une ombre froide collée sur l’épiderme mais je lui ferme mentalement portes et fenêtres. Je ravive le feu de la cheminée. J’allume la radio de mon cœur. Ça sent bon la petite confiance en soi à l’odeur de bois brûlé. Je rajoute une musique personnelle, confectionnée dans les jours de fin d’été. Je lui lance un sourire sucré fait maison.

Le bougre semble insensible à ma protection de chaman improvisé puis, sans crier gare, renonce et s’en va. Il promet de revenir plus vite que je ne le pense. Je hausse des épaules mais cache au plus profond de moi une crainte. Je savoure malgré tout. Victoire sans public mais tout mon moi applaudit.

Cartographie sentimentale

C

Dans le dessein de mon destin, je visualise un support blanc sur lequel, soudain, naissent des petits traits noirs sans aucune prétention. Glissantes comme sur de l’eau, les petites barres se laissent porter, ici et là, dans la direction où le sort veut bien les emmener, quitte à ce qu’elles sortent du contour et tombent dans le néant.

Il faut croire que rien ne pourrait leur permettre de décider par elles-mêmes de la route à prendre. Pas parce qu’elles ne soient pas douées de conscience, bien au contraire, elles sont animées d’une intelligence rare. Sauf que voilà : elles restent persuadées qu’une puissance les empêcherait de choisir. Déterminisme pour les unes, fatalisme pour les autres. Tristesse dans tous les cas.

Il suffirait pourtant d’un éclat. Celui qui mettrait un doute. Celui qui ferait naître une interrogation.

De là, les traits deviendraient reliefs.

De là, naitraient des collines, des montagnes, ou même des creux, ou encore des souterrains.

De là, viendraient des couleurs vives, pâles, gaies ou sinistres.

De là, se rajouteraient des mouvements tendres, violents, familiers ou étranges.

De là, une cartographie prendrait forme là où il n’y avait que du plat.

De là, existerait le pouvoir de pouvoir transformer mes sentiments, ces petits traits inscrits dans mon être, pour les diriger là où il me semblerait bon de les emmener. Pour enfin devenir un voyageur de ma propre existence.

Toujours-nuit

T

Le Soleil chutait dans les eaux. Il plongeait dans les vagues, et, en remerciement, il leur donnait une jolie teinte rosée (il était connu qu’elles étaient coquettes).

Cela me rappelait ton sourire au crépuscule, ton visage plongé dans la pénombre, ton baiser au goût de lumière ténébreuse, tes mains qui me touchaient sans me toucher vraiment.

Cette boule de gaz qui tombait dans la mer, c’était l’entre-deux de nous pour toujours-nuit.

Docteur du réceptacle

D

Soudain, je sens une manifestation nocturne de la pierre molle, version saignante. Me voilà coincé avec le palpitant qui veut se faire entendre.

De quoi, donc ? Un cœur parle à sa façon, la raison a cessé de le comprendre. Des spécialistes de la traduction cardiaque ont pris la parole. Certains affirment qu’il faut prendre en compte le nombre de battements, d’autres la fréquence. D’aucuns vous diront que déchiffrer ce qu’on a dans la poitrine est complexe, et que seul son propriétaire peut en tirer le sens. Baratins, vérités, ou les deux.

Je m’improvise docteur du réceptacle. Je m’intériorise, je m’immisce dans ma chair, dans mon sang. Je me visualise nu, les organes en pleine nuit. C’est qu’il bat fort, ce bougre. Je le fixe pendant de longues minutes. Je n’y comprends rien.

D’un coup, je relève une vibration. Discrète, mais présente. Je m’y concentre. Elle s’émet aux globules qui la transmettent aux veines qui la propagent aux organes. À tout. C’est la clé.

Je la prends entre mes mains. Je la rentre dans la serrure du cœur. Je l’entendais déjà mais je l’écoute pour la première fois. C’est terrifiant. C’est beau.

Lumières projetées

L

Que voulez-vous, éclats lutteurs d’ombres, veilleurs du rêveur esseulé ? Je vous vois agiter vos particules contre le plafond de la chambre, comme pour attirer mon attention.

Que dois-je y comprendre, faisceaux de jours artificiels, lutteurs de ténèbres réelles ? Je vous fixe de mon regard forêt interrogateur.

Je cherche à sonder vos gestes brillants dans l’ombre de mes pensées. Je tire mentalement une corde de réflexions vers moi, espérant trouver au bout la signification… en vain.

Projetez donc vos lumières, insolentes ! Eclaboussez la limite supérieure de toute votre intensité ! C’est l’heure de la danse des étincelles !

Vous ne perturberez pas mon sommeil ! Ou peut-être un peu. Un peu beaucoup. Je vous déteste.

Plus loin au plus près

P

Je me perds trop. Un sorcier m’a dit qu’il fallait chercher plus loin au plus près. Trouver dans ce nœud de chair et de sang ce chemin qui me donnerait une direction à suivre, un sens à ma vie.

Je ferme les yeux. Je n’y vois que l’obscurité pendant longtemps. Je me visualise alors une route que je connais bien, familière, propre à l’enfance. Celle qui m’emmène chez ma grand-mère. Celle qui donne de la chaleur et l’envie d’avancer. Un point de repère au point, en quelque sorte.

Je roule dans une voiture made in imagination, fabriquée à base de plumes bleues et de coquillages, c’est joli. Mon conducteur est un corbeau anthropomorphe, il porte une chemise bleue et rigole tout le temps. Je crois que je me suis crée un Disney sans le vouloir. Ça me fait sourire.

J’avance. Des sons me reviennent d\’un autre temps, d’un autre monde. Ça me réveille des morceaux de souvenirs qui font de leur mieux pour se recoller ensemble. Ça provoque des situations manquantes assez curieuses, comme une dispute avec des sourires. Je comprends rien mais ça fonctionne.

Je continue. Ça sent bon la crêpe au sucre comme avant. Je vois des proches contraints de s’éloigner par le temps. Je me sens triste et en colère. Quelque part, j’en tire également de la joie. La nostalgie est une déesse qui se joue de moi… et je me laisse faire.

Je poursuis. Je me vois en costume et négocier des actes. Tiens donc, dans une voiture coquillée-plumée conduite par un oiseau noir, pourquoi pas. Le contrat a l’air tout sérieux. Je ne sais pas ce que je dis. Rien n’est logique de toute façon.

Je poursuis. Ce n’est plus du bitume en dessous de nous, ce sont des étoiles dans des nuages. Le ciel s’est assombri. Des couleurs dansent dans une nuit qui se veut jour.

Je prolonge. Ce chemin est un laboratoire expérimental dont je suis le cobaye. Il est peine perdue de choisir une direction, il faut que je me laisse porter. Ce n’est pas moi qui pilote c’est le piaf moqueur.

Je rouvre les yeux. Fermer les yeux dans un lit n’était pas une si bonne idée.

Appétit d’un loup

A

J’ai l’appétit d’un loup. Sauf que mon gros creux ne provient pas de mon ventre mais de mon cœur.  Il faut croire que je n’ai faim que de la plus belle nourriture. Je pourrai en faire tout un plat. Voir plusieurs. J’ai faim d’amour sucré-salé, faim d’amour pimenté, faim d’amour assaisonné. Je veux le mettre dans mon assiette, le piquer et le porter à mes lèvres. Je veux le sentir couler à travers moi comme une coulée de lave de bien-être. Je veux m’en remplir la poitrine jusqu’à exploser en feu d’artifice.

Liberté dispersée

L

Papillons de nuit irradiés, trainée de mouvements phosphorescents dans l’air, j’entends le battement de vos ailes vertes. Tchernobyl nocturne en voyage.

Dans les abîmes du ciel éclairé, partez pour moi. Volez ma liberté. Dispersez-la dans le monde, on la retrouvera par petits bouts, chauds ou glacés, secs ou mouillés, intacts ou écorchés, mais libres malgré tout. Il faut bien que d’autres puissent goûter ce que je ne peux mettre en bouche. Savourez pour moi ce plat merveilleux.

En attendant de la retrouver, créatures merveilleuses, prenez-la avec vos petites pattes soignées. Puis, partez. Plus vous irez loin et plus je me sentirai près de vous. C’est ce genre de choses qu’on perd pour mieux les retrouver.

Les nuits se prolongent

L

Les nuits se prolongent, je lève la tête dans le jardin. Je me dis que ce serait bien qu’on parte en comète, avec l’option « pleine lune » pour être romantique. Ce serait une façon bien à nous de se dire je t’aime en silence. Je te ferais des bisous dans le cou, sur la bouche, et dans bien d’autres endroits, en vitesse année-lumière avec tout plein d’étincelles sur notre passage.

On ne choisirait pas la destination, on se laisserait porter dans l’espace interstellaire, à se manger des étoiles plein le cœur à ne plus en savoir quoi faire, à se perdre dans les gaz, les poussières et les roches, à observer les planètes, les comètes et les astéroïdes.

J’aimerais nous perdre dans les galaxies, les amas de galaxies, les superamas de galaxies, que les filaments de matière noire les contenant se moquent bien de nous comme il faut, si cela permet de nous retrouver plus proches que nous avons pu l’être sur Terre. J’accepte même le défi du vide sidéral, il paraît qu’il n’y a quasiment que ça.

De l’eau qui monte

D

Ce n’est rien, c’est juste de l’eau qui monte. De la flotte froide dégueulasse qui me prend les pieds qui frissonnent à son contact. C’est drôle, je patauge, ça me rappelle le p’tit bain de mon enfance à la piscine municipale, un beau moment d’appréhensions. Tu vois, il est des choses qui ne changent pas.

Le liquide qui arrive aux chevilles, ça permet de mettre des coups dans le dedans qui traverse, on ne sent rien mais ça fait du bien, on déverse sa colère quand on ne veut pas le comprendre dans du transparent, et ça se perd dans la matière qui tangue.

Le bleu qui ondule aux cuisses, c’est bien, c’est un bel exercice pour les jambes, ça me prépare aux Jeux olympiques mondiaux à une personne dans ma tête.

Les milliers de gouttes qui touchent le niveau de la ceinture, ha, les petites coquines ! Elles veulent jouer avec moi à un jeu dangereux et, hé… ! Pourquoi pas ?! Il est plus de minuit, le crime est permis…

La pluie interne cache désormais mon ventre, oh… merci, il ne fallait pas, vraiment ! Je peux faire croire à qui le veut qu’il se cache dans le trouble une musculature à faire pâlir tous les Dieux !

La mer imaginaire qui recouvre mon torse, oh quel dommage ! J’aimais bien cette partie-là. Maintenant, ma forêt de poils va connaître autre chose que le grand air.

Ce n’est rien, je te dis ! C’est juste de l’eau qui monte jusqu’au cou.

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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