CatégorieDes pensées

Des chaussures bleues si bleues

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J’avais mis des chaussures bleues si bleues que j’en avais eu des remarques. Je les aimais bien, ces chaussures bleues si bleues. Je trouvais que marcher avec des chaussures bleues si bleues sur le gris si gris du béton c’était comme mettre des beaux morceaux de ciel dégagé dans le mauvais temps.

Je portais un costume bleu, voilà pourquoi je portais des chaussures bleues, même si elles étaient si bleues que cela m’avait été remarqué. Pourtant, cela me donnait des airs de Monsieur Météo secret, celui qui pouvait changer le temps juste en marchant. Il suffirait alors de me voir au loin, de porter de l’attention à ce que je fais plutôt que de me faire constater que mes chaussures bleues sont si bleues. Alors on verrait alors que je suis un Marcheur de Beau Temps.

Je crève les nuages dans un passage, je permets aux passants de chercher le Soleil dans mes pas, je donne du Paradis en touchant le sol, et ça c’est du talon qui n’appelle aucune remarque.

Dans les murs

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J’ai un secret bien gardé dans mes poches. Je le garde au chaud, au plus près de moi, de peur qu’on me le vole… je ne le dis qu’à vous : je peux me cacher dans les murs !

Je m’approche de l’un d’eux, je pose ma main dessus, et, à ce moment-là, je sens une chaleur émaner de ma paume. Je peux décider d’agir comme de ne rien faire. Le plus sympa c’est quand même d’y aller alors, en une volonté, je me fais absorber.

Je me retrouve alors de l’autre côté. Pas sur mais dans la paroi. Je peux glisser partout à travers le matériau. On ne me voit pas mais j’observe tout. Dans une maison, si toutes les pièces se touchent sans obstacle, je peux aller partout, même jusque dans les tuiles du toit.

Je peux me glisser dans n’importe quel lieu dit confidentiel, voire même qualifié de secret défense. Je suis un espion premium. Je connais depuis le temps des informations improbables qui feraient mieux de ne pas tomber entre de mauvaises mains mais je n’en fais rien avec. Je me sens un peu comme un gardien des chuchoteries. J’aime tout savoir sans que personne ne me soupçonne.

Pour revenir, rien de plus simple, il suffit que je le désire, et je redeviens ce que je suis à l’endroit où je souhaite sortir. Ça signifie que ça peut être n’importe où. Une fois, j’ai déconné, je me suis rematérialisé de haut et j’ai chuté dans le vide. Heureusement, il y avait un lac en contrebas et je suis tombé dans l’eau. Je me suis quand même fait mal et mon médecin a fait une drôle de tête quand il a vu mes blessures.

Bref, j’ai un pouvoir qui me permet d’aller dans les murs et, paradoxalement, je me sens vivre sans barrière.

La Voix du Dedans

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Certaines de mes pensées font ressurgir la Voix du Dedans.

C’est un souffle froid, sorte de mouvement d’air mal fabriqué, logé au plus profond de mes éclats mentaux les plus fragiles. Je ne l’entends pas comme une personne qui parle. C’est plutôt une musique jouée à l’envers par un instrument à vent inconnu au répertoire.

Je la visualise par un matin d’hiver : je sors de la maison, je marche sur le manteau blanc, le soleil se lève. Tout est beau et calme, mais ça m’angoisse. Mes pas s’enfoncent, soudain, la Voix du Dedans me murmure que je ne marcherai plus. L’astre m’éclaire le chemin, mais la Voix du Dedans me chuchote qu’il ne me réchauffera plus. Chaque chose que j’exécute se noircit sous ses intentions malveillantes.

Le pire, c’est que je ne peux pas lui en vouloir : c’est une invention faite maison, personnalisée uniquement pour moi. Quelqu’un d’autre ne pourrait ni la voir ni l’appréhender. Je suis seul face à cette Voix du Dedans. Parfois, je ne la perçois même pas, mais, par d’autres moments, elle hurle et constitue mon seul bruit de vie. Dans ces instants, je ne me sens plus moi et j’attends que ça passe.

C’est un matin d’hiver, le soir d’été reviendra, me dis-je.

Des flots

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De tout cet amour, il n’en reste que des flots qui t’emparent, te tirent et te poussent, là où bon leur semble.

Nage, mon grand, nage.

Les vagues salées qui roulent sur ta gueule te font croire qu’il faut que tu retrouves le rivage, qu’il sera bon pour toi de marcher sur le doux sable chaud. Cette terre, cette bulle, qui t’apporte un sentiment de réconfort n’est qu’un leurre. Elles sont bien trop nombreuses, bien trop puissantes, pour que ton petit cœur si chahuté puisse y faire quelque chose. Elles ne veulent que te voir te fatiguer davantage et mourir à petite eau. N’oublie pas, les vagues, on ne les a qu’en superficie. Alors, fais ce que la survie ne te pousse pas à faire : ne prends pas pied.

Coule, mon grand, coule.

Sans te noyer. Oublie les règles et les principes si propres à ta condition humaine. Écoute plutôt l’animal qui veille sur ton âme, que tu as si longtemps négligé. Rallume dans ton sang épais cet instinct primitif. Scrute, renifle, grogne même. L’environnement n’est pas hostile si tu sais t’en servir. Alors, sers-t’en. Chasse ce qui peut être chassé. Fais en sorte que la pêche soit bonne. Dans cet océan de sentiments, tu n’es pas la victime mais le prédateur.

Vis, mon grand, vis.

 

Triste fantôme

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Voilà qu’une force invisible me traverse. Je la sens comme un triste fantôme, vibreur d’ondes négatives à continuité tendue, qui insuffle de mots noircis sur page blanche humaine. Ce n’est pas là sa première visite. Le spectre est un visiteur familier des lieux.

Cette fois, l’accès lui sera difficile. J’ai une ombre froide collée sur l’épiderme mais je lui ferme mentalement portes et fenêtres. Je ravive le feu de la cheminée. J’allume la radio de mon cœur. Ça sent bon la petite confiance en soi à l’odeur de bois brûlé. Je rajoute une musique personnelle, confectionnée dans les jours de fin d’été. Je lui lance un sourire sucré fait maison.

Le bougre semble insensible à ma protection de chaman improvisé puis, sans crier gare, renonce et s’en va. Il promet de revenir plus vite que je ne le pense. Je hausse des épaules mais cache au plus profond de moi une crainte. Je savoure malgré tout. Victoire sans public mais tout mon moi applaudit.

Cartographie sentimentale

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Dans le dessein de mon destin, je visualise un support blanc sur lequel, soudain, naissent des petits traits noirs sans aucune prétention. Glissantes comme sur de l’eau, les petites barres se laissent porter, ici et là, dans la direction où le sort veut bien les emmener, quitte à ce qu’elles sortent du contour et tombent dans le néant.

Il faut croire que rien ne pourrait leur permettre de décider par elles-mêmes de la route à prendre. Pas parce qu’elles ne soient pas douées de conscience, bien au contraire, elles sont animées d’une intelligence rare. Sauf que voilà : elles restent persuadées qu’une puissance les empêcherait de choisir. Déterminisme pour les unes, fatalisme pour les autres. Tristesse dans tous les cas.

Il suffirait pourtant d’un éclat. Celui qui mettrait un doute. Celui qui ferait naître une interrogation.

De là, les traits deviendraient reliefs.

De là, naitraient des collines, des montagnes, ou même des creux, ou encore des souterrains.

De là, viendraient des couleurs vives, pâles, gaies ou sinistres.

De là, se rajouteraient des mouvements tendres, violents, familiers ou étranges.

De là, une cartographie prendrait forme là où il n’y avait que du plat.

De là, existerait le pouvoir de pouvoir transformer mes sentiments, ces petits traits inscrits dans mon être, pour les diriger là où il me semblerait bon de les emmener. Pour enfin devenir un voyageur de ma propre existence.

Toujours-nuit

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Le Soleil chutait dans les eaux. Il plongeait dans les vagues, et, en remerciement, il leur donnait une jolie teinte rosée (il était connu qu’elles étaient coquettes).

Cela me rappelait ton sourire au crépuscule, ton visage plongé dans la pénombre, ton baiser au goût de lumière ténébreuse, tes mains qui me touchaient sans me toucher vraiment.

Cette boule de gaz qui tombait dans la mer, c’était l’entre-deux de nous pour toujours-nuit.

Docteur du réceptacle

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Soudain, je sens une manifestation nocturne de la pierre molle, version saignante. Me voilà coincé avec le palpitant qui veut se faire entendre.

De quoi, donc ? Un cœur parle à sa façon, la raison a cessé de le comprendre. Des spécialistes de la traduction cardiaque ont pris la parole. Certains affirment qu’il faut prendre en compte le nombre de battements, d’autres la fréquence. D’aucuns vous diront que déchiffrer ce qu’on a dans la poitrine est complexe, et que seul son propriétaire peut en tirer le sens. Baratins, vérités, ou les deux.

Je m’improvise docteur du réceptacle. Je m’intériorise, je m’immisce dans ma chair, dans mon sang. Je me visualise nu, les organes en pleine nuit. C’est qu’il bat fort, ce bougre. Je le fixe pendant de longues minutes. Je n’y comprends rien.

D’un coup, je relève une vibration. Discrète, mais présente. Je m’y concentre. Elle s’émet aux globules qui la transmettent aux veines qui la propagent aux organes. À tout. C’est la clé.

Je la prends entre mes mains. Je la rentre dans la serrure du cœur. Je l’entendais déjà mais je l’écoute pour la première fois. C’est terrifiant. C’est beau.

Lumières projetées

L

Que voulez-vous, éclats lutteurs d’ombres, veilleurs du rêveur esseulé ? Je vous vois agiter vos particules contre le plafond de la chambre, comme pour attirer mon attention.

Que dois-je y comprendre, faisceaux de jours artificiels, lutteurs de ténèbres réelles ? Je vous fixe de mon regard forêt interrogateur.

Je cherche à sonder vos gestes brillants dans l’ombre de mes pensées. Je tire mentalement une corde de réflexions vers moi, espérant trouver au bout la signification… en vain.

Projetez donc vos lumières, insolentes ! Eclaboussez la limite supérieure de toute votre intensité ! C’est l’heure de la danse des étincelles !

Vous ne perturberez pas mon sommeil ! Ou peut-être un peu. Un peu beaucoup. Je vous déteste.

Plus loin au plus près

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Je me perds trop. Un sorcier m’a dit qu’il fallait chercher plus loin au plus près. Trouver dans ce nœud de chair et de sang ce chemin qui me donnerait une direction à suivre, un sens à ma vie.

Je ferme les yeux. Je n’y vois que l’obscurité pendant longtemps. Je me visualise alors une route que je connais bien, familière, propre à l’enfance. Celle qui m’emmène chez ma grand-mère. Celle qui donne de la chaleur et l’envie d’avancer. Un point de repère au point, en quelque sorte.

Je roule dans une voiture made in imagination, fabriquée à base de plumes bleues et de coquillages, c’est joli. Mon conducteur est un corbeau anthropomorphe, il porte une chemise bleue et rigole tout le temps. Je crois que je me suis crée un Disney sans le vouloir. Ça me fait sourire.

J’avance. Des sons me reviennent d\’un autre temps, d’un autre monde. Ça me réveille des morceaux de souvenirs qui font de leur mieux pour se recoller ensemble. Ça provoque des situations manquantes assez curieuses, comme une dispute avec des sourires. Je comprends rien mais ça fonctionne.

Je continue. Ça sent bon la crêpe au sucre comme avant. Je vois des proches contraints de s’éloigner par le temps. Je me sens triste et en colère. Quelque part, j’en tire également de la joie. La nostalgie est une déesse qui se joue de moi… et je me laisse faire.

Je poursuis. Je me vois en costume et négocier des actes. Tiens donc, dans une voiture coquillée-plumée conduite par un oiseau noir, pourquoi pas. Le contrat a l’air tout sérieux. Je ne sais pas ce que je dis. Rien n’est logique de toute façon.

Je poursuis. Ce n’est plus du bitume en dessous de nous, ce sont des étoiles dans des nuages. Le ciel s’est assombri. Des couleurs dansent dans une nuit qui se veut jour.

Je prolonge. Ce chemin est un laboratoire expérimental dont je suis le cobaye. Il est peine perdue de choisir une direction, il faut que je me laisse porter. Ce n’est pas moi qui pilote c’est le piaf moqueur.

Je rouvre les yeux. Fermer les yeux dans un lit n’était pas une si bonne idée.

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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