Chimères II : La Manufacture de l’Onirie

C

(expérience n°9)

#User31

Le printemps est joli en cette année.

Jérôme nous prépare dans le jardin de notre belle maison de famille un barbecue dont lui seul en a le secret. Il pose, tout fier, ses morceaux de viande, les meilleurs au monde selon lui.

Nos enfants jouent ensemble. Pierre semble un peu trop embêter sa sœur, s’il continue, j’irai lui dire deux mots, mais pour le moment, je profite.

Pas des rayons du soleil qui me réchauffent doucement la peau, ni de la légère brisque qui danse dans mes cheveux, ni même de cette musique lointaine jouée chez l’un des voisins…

Jérôme s’assure de la cuisson comme si sa vie en dépendait. Je souris : son expression dans les tâches même les plus quotidiennes m’avait toujours amusée.

Pierre a fini par laisser tranquille Sophie qui s’amuse à arracher des marguerites. Je la laisse faire mais je la guette du coin de l’œil. Si elle touche aux tulipes, ça va être une autre histoire mais, pour le moment, je tire profit.

Pas de cette odeur appétissante qui me vient au nez, ni de cette pie qui vient de se poser non loin et qui espère profiter lui aussi de ce repas, ni de ce livre que je tiens entre mes mains…

Jérôme a retourné la volaille et la cochonnaille. Il sifflote un air que j’avais l’habitude d’entendre.

Je sens que des petites mains me tirent la robe. Je baisse la tête.

– Pourquoi tu pleures maman ? me demande Sophie.

Je la regarde comme jamais puis, l’espace d’une seconde, les réflexes me reviennent :

– Ce n’est rien mon cœur, lui dis-je en lui faisant un bisou sur le front. C’est la fumée qui me pique les yeux…

Ma fille repart s’amuser dans l’herbe.

Je n’ai pas vraiment menti : c’est la fumée de mon passé qui passe devant moi. Celui dans lequel je n’ai pas encore divorcé. Celui dans lequel mes enfants n’ont pas encore fait leur vie loin de moi.

Le printemps est joli en cette année… mille neuf cent quatre-vingt-quinze.

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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