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(expérience n°5) – #User7

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Attention aux divulgâchements !

Ce que vous allez lire est un chapitre de l’histoire La Manufacture de l’Onirie de la série Chimères qui comprend une autre histoire : Le Monde du Dehors. Si les deux peuvent se lire indépendamment, il est conseillé de découvrir la fin du Le Monde du Dehors avant la fin de cette propre histoire !

Les chapitres du Le Monde du Dehors sont disponibles ici.
Quant à ceux de La Manufacture de l’Onirie, retrouvez-les .

(expérience n°5)

#User7

Je reviens à cet endroit pour la douzième fois. Je ne m’en lasse jamais.

Tout est là comme je l’ai laissé : les cinq tours se tiennent devant moi, par centaines de mètres de long, et n’attendent qu’une seule chose… prendre place dans le monde réel !

Finis les plans bidons et les maquettes médiocres ! Les architectes comme moi exploitent désormais leur imagination en circuit court et j’en suis le pionnier !

Il me suffit de penser à ce que je veux pour le voir se matérialiser juste devant mes yeux.

D’un geste, je crée la structure, j’en change la matière, mais aussi la couleur. Je rapproche mes mains pour la rétrécir, les éloigne pour l’agrandir. Je tourne mes doigts dans un sens et la chose la suit, à la même vitesse. Je peux la suspendre doucement en l’air ou bien même la fracasser contre le « sol » sans qu’elle se casse. Je la divise en des milliers de petits morceaux jusqu’à ce qu’ils deviennent des particules, ou je l’assemble encore et encore pour la transformer en monument.

Les options sont nombreuses, voire illimitées !

D’un clignement des yeux, je visualise en transparence toute l’infrastructure de la construction, que ça soit sa fondation ou l’implantation dans le sol, mais aussi l’ensemble de la superstructure par ses poteaux ou ses planchers.

D’un claquement de doigts, je multiplie les portes et les fenêtres qui s’harmonisent aussitôt dans l’ouvrage.

J’imite le bruit du feu avec ma bouche et, aussitôt, je projette de la lumière à l’endroit voulu comme pour avoir l’effet d’un soleil.

Je siffle un air et j’ai dans l’immédiat une musique d’ambiance qui tourne en boucle en fond sonore.

Je ne connais pas le Concepteur, mais… quelle merveilleuse technologie ! Le résultat en était stupéfiant !

Ça m’a coûté cher, mais j’ai pu réaliser le projet immobilier en trois semaines seulement alors que, par les moyens classiques, j’en aurais eu pour des mois ! Et encore… c’était ma première fois ! je suis sûr que je peux réaliser le prochain programme en une semaine seulement !

Je vais enfin pouvoir présenter la « Five Towers » au maire de la ville en le faisant venir directement ici ! Il va être conquis !

L’expérience

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Dans une grande excitation, ses trois yeux, aussi sombres que pouvait l’être l’obscurité, fixaient intensément la fiole qui finissait de se remplir goutte par goutte. La quantité du liquide, à peine vingt millilitres, de couleur grise, semblait infimes, mais représentait en réalité deux longues années de travail. Il avait dû passer de longues nuits dans de nombreuses bibliothèques pour chercher les rares livres qui l’intéressaient. Puis il devait surtout les comprendre.

Lui, comme ses confrères, avait été entraîné dès leur naissance sur le physique. Pas la physique. Encore moins la chimie, la biologie, les mathématiques ou n’importe quelle autre matière qui y ressemblait. Toutes ces connaissances compliquées étaient dédiées aux « Ratés », ces individus qui n’entraient pas dans les critères… ce qu’il n’était surtout pas, bien au contraire ! On l’avait très vite appelé dans son milieu « Le Destructeur ».

Ses immenses pattes poilues, aussi bien antérieures que postérieures, dotées de griffes solides très aiguisées, pouvaient détruire n’importe quoi. Le reste de son corps, trois cents kilos de muscles, recouverts de plusieurs épaisseurs d’écailles vert glacier –sauf le cou où était disposé curieusement un simple duvet -, pouvait se lancer tel un boulet de canon contre n’importe quel obstacle avec une étonnante agilité. Lors d’une mission, s’il fallait dégager le terrain, c’était lui qu’on allait chercher.

Il était aussi craint que respecté de tous. Mais cela ne lui suffisait pas. Il lui fallait toujours plus. Il voulait être plus fort. Plus terrifiant. L’idée d’être le meilleur l’obsédait. C’est pourquoi il avait demandé une pause. Pause qu’on lui avait aisément accordée en raison de tous ses services accomplis avec succès.

Il en profita pour suivre la voie des « Ratés » qui réussissait des choses de plus en plus grandes, de plus en plus impressionnantes. Ils avaient pris une place très importante dans la société, bien qu’ils soient toujours considérés comme des rebuts. Il s’était alors inspiré de leurs exploits en s’improvisant scientifique. Il n’avait pas hésité à s’enfermer, à acheter le matériel adéquat, à même demander discrètement de l’aide à un ou deux « Ratés » pour lui enseigner les bases fondamentales. Le reste, il l’avait fait tout seul. Comme un grand. De deux mètres soixante.

La dernière goutte tomba dans le tube. C’était prêt. Il prit délicatement la seringue dans sa patte droite, la remplit en respectant scrupuleusement la dose, puis la contempla. C’était l’heure de vérité. Il dissimula tant bien que mal une certaine angoisse, sentiment qu’il ne ressentait presque jamais. Et si… ? Non. Il avait vérifié encore et encore les formules.  Il ne pouvait pas y renoncer. Pas maintenant. Pas après autant de temps consacré à cet objectif. Il respira un grand coup.

Il s’injecta le produit dans le cou puis s’observa devant la glace. Rien. Il ne s’était absolument rien passé. Tout était à sa place. Ses écailles, ses poils, ses griffes, ses yeux, sa corpulence. Il n’était ni plus grand ni plus musclé. Rien n’avait poussé. Rien ne s’était retiré. Il soupira en reposant l’aiguille. Il aurait tant aimé avoir au moins des cornes sur sa tête massive. Tant pis. Il allait revoir ses recherches…

Soudain, son ventre provoqua de curieux gargouillements puis il ressentit des barres de douleur. Il se plia instinctivement en deux dans un grognement, la main sur l’estomac. Il eut à peine le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu’il ressentit une énorme chaleur lui parcourir le corps. Il émit un son grave plus fort. C’était comme si on l’avait allumé de l’intérieur. Il était devenu un brasier qui ne laissait montrer aucune flamme. Il chercha à réguler sa température en faisant pendre sa grosse langue mais son cœur s’était mis à se battre à une vitesse effrénée, ce qui l’empêcha de respirer normalement. Il fut très vite pris de convulsions. Ses écailles, ses poils ainsi que ses griffes tombèrent progressivement tandis qu’il avait s’accrochait du mieux qu’il pouvait sur la table pour ne pas tomber. Il souffrait. Intensément.

La transformation prenait du temps. Il cria quand il sentit un de ses yeux sortir de lui pour s’écraser mollement par terre. Il n’en pouvait plus. Jamais il ne s’était senti aussi vulnérable qu’à ce moment précis. La tête lui tourna violemment. Il s’écroula.

Il ne sut combien de temps il avait perdu connaissance. Il entendait, voyait beaucoup moins bien. Et il avait froid. Atrocement froid. Le moindre de ses mouvements était un supplice. Il n’osait pas bouger. Il ne percevait que son souffle beaucoup plus discret. Qu’était-il devenu ? Il se sentait faible. Si faible. Il se regarda par hasard dans la glace qui se tenait face à lui. Il se dévisagea durant d’interminables secondes avant de hurler de toutes ses forces.

Le miroir reflétait l’image d’un humain terrifié.

Le Monstre Caché Sous Le Lit

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Dans l’obscurité de sa grande chambre, seul le réveil dégageait de la lumière. Allongé de dos sur le lit, il tourna la tête pour le regarder : ses chiffres digitaux, d’une couleur rouge, indiquèrent 3h12. Il poussa un soupir d’exaspération et tapota nerveusement ses doigts sur la couverture.

Cela faisait des heures qu’il essayait de dormir. Il avait beau fermer les yeux et compter les moutons jusqu’à deux mille sept cent quatre-vingt-dix-huit, cela ne marchait pas. Il avait pourtant essayé tous les moyens qu’il connaissait : la télé, la musique, le verre de lait, la douche chaude et même la masturbation : rien à faire. Il fallait croire qu’il avait contrarié le marchand de sable.

Ne sachant plus quoi faire, il regarda bêtement son plafond et tenta alors de faire le vide complet dans sa tête en écoutant les petits bruits quotidiens qui l’entouraient… il entendit le moteur d’une voiture passant dans sa rue… le sifflement du vent glissant par la fenêtre… le Humpf ! d’une voix venant tout près de lui… un Humpf ! ?!

Il se leva d’un bond, partit allumer la chambre et fixa son lit en alerte. Il prit le premier objet qui lui vint dans les mains –sa guitare- et le leva en l’air prêt à mettre un coup s’il le fallait. Et soudain, il devint le spectateur d’une scène surréaliste : une chose rouge et noir avec des piquants rampa d’en dessous du lit et se mit debout. Ça devait bien faire deux mètres. Deux yeux jaunes le fixèrent. Curieusement, il n’en eut pas peur, mais il n’en resta pas moins étonné de ce qu’il avait devant lui. Il s’approcha de lui, l’air menaçant, bien que troublé tout au fond de lui.

La « chose » lui parla d’une voix grave :

– Ne me frappez pas ! Je ne vous veux pas de mal ! lança-t-elle en faisant des signes avec ses deux grosses pattes noires poilues avec au bout des griffes.

– Qu’est-ce que vous faites là ? Qui êtes-vous ? De quelle planète débarquez-vous ?!

– En voilà des manières ! lui dit-il alors dans un sourire dévoilant de longues canines. Vous ne voulez pas me proposer du thé avant tout ?

– Vous… quoi ?! répondit-il, déstabilisé par ce qu’il venait de dire.

– Bah alors l’humain… on n’a pas d’humour ?

– D’habitude je suis le premier à rire, mais vous comprendrez qu’une chose débarquant d’un coup en pleine nuit chez moi ça me laisse assez sur le cul…

La « chose » ria. Le son qui sortit de sa gueule ressemblait au cri d’un loup qu’on aurait chatouillé.

– Tu as très certainement déjà entendu parler de moi: je suis le Monstre Caché Sous Le Lit.

– Le jeune homme plissa le front… qu’est-ce que c’était que ce délire ?

Heu oui on m’a déjà parlé de toi, mais je croyais que c’était des conneries que les enfants s’inventaient pour se terrifier sans aucune raison.

– Hé bien non… j’existe vraiment, mais ce qu’on raconte sur moi est faux. Je ne suis pas là pour les effrayer, mais pour les aider à dormir. D’ailleurs, je m’occupe aussi des adultes. Mon but est de prendre soin de vous, pas le contraire. L’humain leva un sourcil.

–    Pourquoi on t’appelle le Monstre alors ?

L’intéressé leva les yeux en l’air et s’essaya sur le lit.

– Allons, allons… évitons les préjugés ! Je suis un Monstre, mais un gentil ! Ce n’est pas parce que je ne ressemble pas à un ange que je suis un démon pour autant…

– Mouais… je ne suis pas convaincu… je trouve que s’infiltrer dans la chambre des gens en pleine nuit ce n’est pas ce qu’il y a de plus rassurant…

– Roh… il ne faut pas penser à mal tout de suite !

– Non non, mais je dis juste mon point de vue…

– C’est vrai que ça a l’air étrange, mais c’est le seul moyen que j’ai pour venir dans ce monde. Mon patron veut pas m’ouvrir d’autres passages il me dit que ça coûte trop cher puis bon nous aussi on connait la crise…

– Ha ouais tu viens carrément de tout un autre monde ?!

–  Bah ouais, j’apparais d’où d’après toi ?

–  Heu je sais pas… à vrai dire depuis cinq minutes je ne croyais pas en l’existence des monstres…

– Hé bah pourtant il existe un monde avec que des Monstres comme nous ! D’ailleurs, nous travaillons tous pour la plupart sur le vôtre.

–  Ha ouais ? Comme quoi ?

– Oh pour la plupart c’est de l’exploration. Ils récoltent des informations à propos d’un lac ou d’un monde polaire par exemple. En fait, vos plus grandes entreprises connaissent secrètement notre existence et nous embauchent pour visiter ou espionner des lieux qu’eux ne peuvent pas faire pour des motifs portant souvent sur la diplomatie politique…

Le jeune homme resta bouche bée.

–  … tu m’en apprends dis donc ! Mais si c’est aussi confidentiel que ça pourquoi tu me le dis alors – Parce que tu vas oublier tout ce qu’on s’est dit à ton réveil.

–  J’ai… j’ai enfin réussi à m’endormir ?

–  On va dire que je t’ai beaucoup aidé à le faire.

–  Mais t’as fait comment ? J’ai tout essayé.

–  Je te l’ai déjà dit : je suis le Monstre Caché Sous Le Lit. Je ne peux qu’apparaitre que dans vos rêves et la plupart du temps vous dormez sur votre lit, d’où mon nom. Mais pourquoi mon patron a-t-il préféré me faire apparaitre sous le lit plutôt qu’un endroit plus logique comme devant la porte de la chambre ? Je n’en sais rien. Il a toujours eu les idées pas nettes… mais c’est un bon dirigeant. Quoi qu’il en soit, mon rôle, mais je te l’ai déjà dit, est d’aidé les humains à dormir. Vous êtes tellement insomniaques qu’on m’a embauché pour combler vos problèmes nocturnes. Je suis là pour restructurer ton esprit, à lui montrer le chemin qu’il doit emprunter pour arriver dans les songes. J’ai eu assez de mal avec toi, mais j’y suis parvenu puisque tu arrives à me voir et à me parler. D’ailleurs, j’en ai fini et je vais partir m’occuper de quelqu’un d’autre…

Il se leva.

–    Attends ! l’interpella le jeune homme. Si je vais tout oublier alors comment ça se fait que les enfants se souviennent de toi ?

–    Oh ça ? Rien de plus logique : je n’utilise pas mon pouvoir d’amnésie sur eux de peur d’abimer leurs rêves. Le problème c’est qu’en se réveillant ils croient que je leur ai voulu du mal tout ça parce que je n’ai pas le physique facile… les enfants se font souvent bernés par les apparences c’est bien connu. Bon j’y vais…

Il s’accroupit, prêt à retourner de là où il était apparu.

–    Attends encore !

Il s’arrêta et ressortit légèrement sa tête.

–    … oui ?

–  Comment tu t’appelles ?

– Sacku.

– Tu me promets de revenir me voir, Sacku ?

– Pas de problèmes… j’ai apprécié notre conversation l’humain.

– Oh, mais j’y pense… je vais aussi t’oublier quand tu reviendras dans mes rêves ?

– Non parce que mon pouvoir d’amnésie ne marche que quand on est réveillé.

–  Oh bah c’est super !

– Héhé… tu l’as dit. Allez, à la prochaine !

Puis il disparut entièrement en dessous du lit.

La sonnerie du réveil obligea le jeune homme à ouvrir les yeux : il était 10h. Il se mit en tailleur sur le lit et se gratta les cheveux… pourquoi avait-il le mot Sacku dans la tête ? Il haussa les épaules puis se leva pour prendre son petit-déjeuner.

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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