Le Voleur de Couleurs

L

L’inspecteur le plus renommé de tout le pays en avait lourd sur le cœur. Jamais, de toute sa carrière, il n’avait fait face à une telle affaire. Enfermé dans son bureau depuis de longues heures, il contemplait, le visage pâle et fatigué, les photos accrochées contre le mur. Elles avaient toutes un point commun: un élément en noir et blanc sur chacune d’elles alors que tout le reste était en couleurs.

Il regarda celle qui était située en haut à gauche. Elle représentait une maison impressionnante par sa taille. Elle était toute belle et rien de ne lui manquait… si ce n’est le rouge des toits. Les propriétaires, face à la découverte, n’en crurent par leurs yeux et durent convaincre plusieurs fois la police de venir vérifier leurs propos par elle-même. Face à cette perplexité hors du commun, on l’appela pour résoudre ce mystère et mettre la main sur cet étrange voleur de couleurs. On ne connut un pareil cas et il n’a fallu pas attendre longtemps avant que ça soit à la une de tous les journaux. Les médias posèrent au responsable de l’enquête d’innombrables questions mais il ne put répondre à une seule d’entre elles car il n’était pas plus avancé qu’eux… jusqu’au jour où, une femme, âgée de la trentaine, arriva jusqu’à lui pour témoigner de ce qu’elle avait vu.

– … je rentrais chez moi lorsque, soudain, j’ai aperçu une lumière projetée sur le toit d’une maison. L’opération s’est déroulée tellement vite que je n’ai pas eu le temps de distinguer quoi que ce soit. Par contre j’en suis certaine : Cela provenait d’un buisson !

Il n’eut pas le temps de réfléchir sur ses précieux propos qu’on l’alerta aussitôt: le voleur avait de nouveau frappé.

Les mains croisées derrière son dos, il porta sa vue sur la deuxième photo située juste à droite de la première. On pouvait y voir un jardin où poussait tout type de fleurs. Elles étaient magnifiques… hélas on ne pouvait pas dire de même pour l’arbre qui était devenu aussi gris que de la cendre. Les spectateurs du drame furent un peu plus nombreux: un éclair avait relié le végétal à quelque chose situé derrière le bâtiment et ça n’avait duré que quelques secondes. Ils n’aperçurent qu’une ombre se faufilant dans les rues avant de se plonger dans la forêt d’à côté.

L’inspecteur se recula et fixa cette fois-ci tout le mur. Il compta vingt sept photos. À chaque fois, le voleur avait réussi à disparaître sans laisser la moindre trace derrière lui. Pas de doutes: c’était un pro.

Une voix le sortit de ses pensées :

– Chef ! Chef !

Il se retourna et s’aperçut que c’était l’un de ceux qui travaillaient pour lui.

– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai horreur qu’on me dérange pour…

– Vous devriez jeter un œil dehors !

Comprenant qu’il allait peut-être enfin mettre la main sur un indice, il se précipita vers la porte, courut comme jamais dans les couloirs avant de se plonger vers l’extérieur. Il tourna la tête énergiquement autour de lui avant de comprendre que ça se passait au dessus de sa tête.

– Nom de …

Le ciel était devenu gris. Il cria, le poing en l’air:

– Voleur, pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce qui t’arrange ? Par quelle sorcellerie tu as pu faire tout ça ? Je te retrouverai ! Tu m’entends ? Je te retrouveraiiiiiiii !

À quelques kilomètres de là, dans un appartement, un jeune homme posa son attracteur sur le bureau, l’ouvrit, et en sortit délicatement un tube avec un liquide bleu à l’intérieur.

– Je suis peut-être allé trop fort sur ce coup…

Il le posa sur un socle, prit un petit pinceau, le trempa à l’intérieur avant d’étendre la couleur sur le personnage qu’il avait dessiné sur une feuille. Il regarda le résultat.

– …mais le bleu rend bien sur mon keffieh.

Il regarda avec satisfaction son œuvre quand il crut entendre quelqu’un crier quelque part. Sans doute cet inspecteur à qui il en avait fait voir de toutes les couleurs…

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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