Le Placeur

L

Dans une salle d’attente pleine à craquer, cela faisait un bon moment que l’ectoplasme attendait son tour, avec un numéro inscrit sur un papier. La pièce était d’une taille impressionnante et était composée d’une matière bleue bizarre qui permettait de faire tout et n’importe quoi. Il suffisait de façonner la substance tout en ayant en tête ce qu’on voulait faire d’elle. C’était la seule que les esprits ne pouvaient pas transpercer. Pour concevoir avec la matière, il fallait se souvenir de quelque chose de solide des existences passées.

En effet, la planète sur laquelle se trouvait le spectre était, contrairement à d’autres qui abritaient la vie, la seule dans l’Univers à avoir comme habitants des morts. C’était une sorte de monde « recyclage » : on récupérait les esprits de n’importe quelle espèce, de la plus intelligente à la plus bête, lorsqu’ils trépassaient puis ils étaient envoyés ici sous forme de fantômes. Ils avaient alors deux choix : soit de rester pour travailler dans l’administration, car il en fallait bien une pour gérer toutes les vies de l’Univers, soit de prendre rendez-vous avec un Placeur comme l’avait fait notre ectoplasme.

Le Placeur avait pour rôle d\’accompagner les défunts dans leur prochaine vie. Pour cela, il prenait en compte leurs critères et s’assurait de présenter l’espèce le plus conforme à leur goût. C’était un poste prestigieux avec de très grandes responsabilités… seul un esprit ayant parcouru au moins mille vies pouvait proposer sa candidature. Une porte s’ouvrit et un Placeur se montra dans la pièce.

– Au tour du numéro 317 s’il vous plait.

Le spectre alla jusqu’à lui et le Placeur l’invita à rentrer dans son bureau. Une étrange machine était disposée sur un meuble avec plein de dossiers à côté. Le fantôme la regarda intrigué tandis que le Placeur referma la porte derrière lui.

– C’est de la technologie provenant de la Planète Agma, informa ce dernier. Ça s’appelle un Sensoriel. Dites à haute voix vos critères de sélection et il vous proposera ce qu’on a de mieux dans notre catalogue.

– C’est génial, mais… vous n’avez pas peur que ça vous remplace ? demanda l’esprit.

– Oh, vous savez ! Ce que fait le Sensoriel n’est qu’une des nombreuses fonctions que nous effectuons au quotidien ! Nous devons aussi nous assurer par la suite que le corps dans lequel vous êtes placé est le bon, que vous ne faites pas de rejet, que vous revenez à bon port. Je ne suis au bureau que le temps d\’une rotation de l’Étoile XYZ sur cinq seulement, je passe le reste de mon temps à l’extérieur. Bon, ce n’est pas ça, mais comme vous l’avez constaté, il y a foule aujourd’hui ! Dites donc ce que vous voulez au Sensoriel.

L’ectoplasme hésita.

– Je voudrais quelque chose d’original, de neuf. Une vie qui ne manque pas de piquant, qui saura m’apporter une expérience sans précédent.

Le Sensoriel projeta en hologramme un insecte rouge qui devait bien fait trois mètres de haut, composé de huit pattes placées un peu partout sur son corps. Le Placeur donna un peu plus d’informations.

– Vous avez là un « Lanogürk ». C’est une espèce de guerriers courageux… des véritables combattants. La vie dont vous bénéficieriez vous permettrait d’assimiler des techniques de combat très impressionnant.

En revanche, la durée de vie n’est que de vingt-cinq ans environ.

– Bah en fait… heu… je l’ai déjà fait.

– Ha ! s’exclama-t-il. Pardonnez-moi, j’ai oublié de consulter votre dossier ! Pourtant, quand vous m’avez appelé pour prendre rendez-vous, je l’avais sorti… il faut dire que c’est le désordre…

Il fouilla dans le tas entreposé et trouva le nom « MZJZ XJOA 478 » sur l’un d’entre eux. Il était plus volumineux que les autres. Il l’ouvrit et feuilleta quelques pages.

– Hé bé ! sifflota-t-il d’un air admiratif. Vous en avez eu des vies ! Plus que moi d’ailleurs ! Vous savez que vous pourriez devenir facilement Placeur ?

– Je sais, mais ça ne m’intéresse pas, répondit avec franchise l\’intéressé. Je préfère l’exploration.

– Je vous comprends. Bon… on va bien trouver quelque chose pour vous ! Pouvez-vous préciser votre recherche ?

– Je recherche la vie la plus extraordinaire qu’elle soit. Je veux découvrir et faire tout ce que je n’ai pas fait jusqu’à présent. Je ne recherche pas spécialement de pouvoirs ni d’une durée de vie spécialement longue…

Le Sensoriel lui présenta un gros monstre bleu à quinze yeux du nom de « Shbirma ». Celui-ci pouvait voir de très loin et adorait regarder ce qu’il y avait derrière les étoiles. Le Placeur lui expliqua un peu plus profondément son produit.

– … il vous permettrait, en gros, de voir ce qu’aucune vie jusque là ne peut observer, même avec les machines les plus puissantes qu’il puisse exister.

Mais le spectre refusa aussitôt en lui indiquant qu’il l’avait déjà fait. Le Placeur lui proposa alors une autre espèce, mais il reçut la même réponse. Une trentaine de propositions plus tard, le Placeur souffla d\’épuisement.

– Vous êtes un difficile, vous ! Mais, puisque vous êtes un très bon élément, j’ai peut-être quelque chose à votre goût. Le Sensoriel ne vous l’a pas donné, car ce n’est pas à la portée de n’importe qui.

Il retourna vers le bureau et sortit d’un tiroir une feuille. Il la présenta à l’ectoplasme.

– Cette espèce est très étonnante. Sans pouvoirs et d’une très grande fragilité physique, elle a malgré tout réussi à s’épanouir dans un environnement qu’elle s’est approprié à une vitesse folle. Ses capacités d’évolution sont énormes ! Vous pourriez faire avec elle beaucoup de choses qui dépassent l’imagination ! Contrairement à beaucoup d’autres espèces, n’importe quelle vie avec cette race est différente selon les individus. Les conditions sont aléatoires, les chances de survie avec. En revanche, faites attention, ce sont de très grands émotifs.

– Woaaa ! Je veux ça ! Comment ça s’appelle ?- Un « Humain ».

– Très bien… j’accepte !

– Parfait ! Permettez-moi de vous rappeler quelques informations de base puis ça sera terminé. Vous devez les connaitre par cœur, mais c’est une formalité obligatoire.

– Pas de problèmes !

– Alors, vous allez bien entendu tout oublier : toutes vos vies précédentes, l’existence de la planète sur laquelle nous sommes, ainsi que votre nom originel. Vous commencez votre nouvelle aventure à la naissance de l’espèce que vous avez choisie. Vous reviendrez ici lorsque la mort prendra votre dernier souffle. Tout incident technique sera résolu au plus vite par nos services. Voilà, vous savez à peu près tout. Je vous souhaite une agréable vie ! Et un bon courage aussi !

– Hé bien merci !

Il donna alors un coup de tampon au dossier. Aussitôt, l’esprit se fit de plus en plus transparent puis disparut.

Le Placeur déposa par la suite le dossier sur le bureau puis ouvrit la porte.

– Numéro 318 s’il vous plait.

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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