La pluie m’agaçait de plus en plus

L

Le temps a passé vite. Trop vite.

Dehors, les gouttes d’eau, nombreuses, étaient un peu trop prétentieuses à mon goût.

– Hey ! leur criai-je. Ce n’est pas parce que vous venez du ciel, que vous savez danser avec le vent, que vous devez péter plus haut que vos culs !

Elles me regardèrent, vexées, et, sans daigner me répondre, continuèrent leur désolant spectacle. C’en fut trop. Je partis clore la fenêtre pour les enfermer dehors.

Je ne voyais absolument pas comment on avait fait pour acheter cet appartement. Sous prétexte que c’était Paris, que c’était joli, il fallait vivre absolument ici. Nous étions pourtant si bien en campagne. Il n’y avait peut-être pas les Champs-Élysées, la tour Eiffel et le Sacré-Cœur, mais là-bas la pluie savait au moins rester modeste.

C’était peut-être un village aussi perdu que le pain qu’on vendait ici mais il y avait au 12 rue des marronniers une boulangerie inoubliable. Qu’elle était belle, qu’elle était bonne ! Surtout quand il y avait toi dedans ! J’y allais sans cesse. Pour m’acheter un croissant et, au passage, pour voler ton sourire. Et toi, généreuse, tu me donnais toujours les deux avec comme supplément un jet de regard infaillible. Je t’avais aimé depuis le début. Il était dans la logique des choses que je t’épouse en glissant ma main dans tes cheveux blonds et une bague à ton doigt.

Et, vite, trop vite, le temps a passé. On avait vu les choses en grand, on avait cherché une grosse ville, et on s’était installé ici. Tu avais pris dans tes bagages tes si délicieuses pâtisseries qui se sont vendues aussitôt comme des petits pains. Nous étions devenus riches et nous étions heureux. Si heureux…

Et, vite, trop vite, le temps a passé. Du gris s’était installé dans ta chevelure d’or et de la monotonie dans notre amour. On s’était disputé une fois, deux fois, trois fois, plein d’autres fois. Ce ne fut au départ que des mots. De simples mots. De pauvres mots. Puis ce fut des gestes. De simples gestes. De pauvres gestes. Je t’avais donné des coups, tu m’en avais répondu par d’autres. On était toujours quittes.

Et, vite, trop vite, le temps a passé. Du silence s’était mis entre nous. Il était aussi lourd que le plomb mais il avait la franchise d’être hurlant de vérité. On ne se reconnaissait plus, on se ne voyait plus. Nous étions devenus deux étrangers qui un jour s’étaient aimés.

Et vite, trop vite, le temps a passé. J’étais rentré plus tôt que prévu et j’aperçus dans tes bras un autre homme que moi. Comment aurais-je pu réagir autrement ? Il avait capturé le sourire et le regard que tu avais à la boulangerie 12 rue des marronniers, tes cheveux gris avaient même retrouvé un peu de leur dorure… sauf que cette métamorphose miraculeuse n’était pas de mon fait.

J’en avais tremblé de rage. Comment aurais-je pu réagir autrement ? Je fus bien obligé de prendre mon fusil et de mettre une balle dans son cœur puis dans le tien en rajoutant, par générosité, une autre dans sa gueule qui t’avait fait retrouver tes vingt ans.

Oui. Le temps a passé vite. Trop vite. Et, derrière la vitre, au pied de ton cadavre et du sien, la pluie m’agaçait de plus en plus.

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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