Le Secret de Zëolia

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Le matin n’était encore qu’un petit matin lorsque les premiers habitants de Zëolia luttèrent péniblement contre le sommeil. Parmi eux, un homme, unique en son genre, s’était lui aussi levé très tôt. Malgré sa petite trentaine, sa barbe brune, aussi épaisse que rêche, était déjà à moitié blanchie, ce qui le vieillissait de plusieurs années. Surtout, on pouvait remarquer sur son visage la présence discrète de plis qui ressemblaient à des rides.

Assis sur un des luxueux fauteuils de la terrasse, un des membres de son personnel – que les autorités lui avaient gracieusement mis à sa disposition – lui posa sur la table un café comme il les aimait : noyé dans du lait, accompagné d’un morceau de sucre. Il le remercia chaleureusement et vérifia rapidement la température de la tasse avant de s’accouder de nouveau sur la table.

Il cumulait la fatigue de ces dernières semaines difficiles, mais il s’obligeait à se lever tôt pour assister, jour après jour, au lever de cette immense boule de gaz dans le ciel. Il avait toujours été fasciné par cette puissance naturelle suspendue au-dessus de sa tête. Il contempla pendant de longues minutes, tout en savourant son café, l’arrivée de l’astre dans le paysage. Celui-ci, généreux, donna aux immenses tours en verre de la ville de jolis reflets roses et dorés.

La ville.

Il se souvint soudainement de son existence puis poussa un discret soupir. Il dédiait sa vie à la protéger. C’en était sa mission depuis ses vingt ans. Il faut dire que la métropole était la plus importante d’entre toutes : c’était là que s’exerçaient essentiellement les activités politiques, économiques et financières. Elle était également animée par dix millions d’habitants, ce qui faisait d’elle la plus peuplée de Zëolia.

En réalité, même si cela ne lui avait jamais été officiellement demandé, il s’assurait également à ce qu’il n’arrive rien aux autres cités, mais également aux villages. Mieux, il garantissait la sécurité du pays dans son entièreté : pas un seul mètre carré du territoire n’échappait à sa vigilance, et cela allait des montagnes les plus hautes aux grottes les plus profondes !

Voilà longtemps maintenant que l’Humanité tout entière avait perdu la raison ou, du moins, croyait en avoir trouvé une dans la colère, la haine et le rejet. Toute société qui ne correspondait aux attentes d’une autre devait être corrigée ou supprimée au plus vite. Les guerres étaient devenues quotidiennes et toute la vie tournait depuis autour de la souffrance et de la mort. En moins d’un siècle, la population mondiale avait été divisée par deux tandis que les famines, les maladies et les déplacements forcés avaient considérablement explosés. En parallèle, la nature elle-même en avait bien entendu pâti : les trois-quarts des espèces de l’écosystème, aussi bien animales que végétales, avaient définitivement disparu. L’être humain continua pourtant de se déchirer sur une planète de moins en moins vivable jusqu’au jour où il réalisera qu’il finira par mourir définitivement, lui aussi.

Pourtant, dans ce monde fait de violences et de désolations, il existait étonnamment un endroit où il faisait encore bon vivre. Un lieu où la paix, même fragile, existait encore. Un pays où il était encore possible de vivre comme avant. Et, ce pays, Zëolia, était le sien.

Bon nombre d’ennemis ont toujours voulu savoir comment cette nation, pourtant pas si forte, pourtant pas si grande, avait pu prospérer jusqu’alors. Toutes les attaques menées contre elle étaient immédiatement repoussées sans qu’ils ne sachent comment. C’était bien simple : les missiles qui arrivaient sur Zëolia étaient aussitôt déviés de leur trajectoire pour revenir de là où elles avaient été envoyées avant d’exploser en l’air. Les navires heurtaient subitement des obstacles inconnus et coulaient avant d’atteindre leur destination. Quant aux soldats qui tentaient de les envahir, ils restaient bloqués aux frontières face à un mur invisible qu’ils ne pouvaient pas franchir, même avec l’aide de blindés.

Si le monde entier considérait que Zëolia détenait des armes de défense hautement technologiques pour repousser n’importe quelle attaque, certains se demandaient si cette prouesse ne relevait pas de la sorcellerie…

Le jeune homme venait tout juste de terminer son café lorsqu’une intuition profonde le fit se lever. Il fit un signe particulier aux trois gardes qui se tenaient près de lui sur la terrasse et l’un d’eux partit prévenir les autorités du danger.

Les sens en alerte, il scruta, non avec le regard, mais avec son esprit, les environs avant d’amplifier sa vue au-dessus de lui et de parcourir dans le ciel une centaine de kilomètres tout en restant physiquement à la même place. Il lui fallut seulement quelques secondes pour découvrir qu’une bombe, d’une taille qu’il n’avait jamais vue de telle jusqu’à présent, avait été larguée au-dessus de la capitale, à une hauteur qu’il ne pensait pas possible.

Il entendit les alarmes de la ville hurler. Aussitôt, il coupa le son de ses oreilles pour se concentrer sur cette menace d’un nouvel ordre. Il remua ses doigts en l’air comme s’il tapotait sur les touches d’un piano invisible. Il entrapercevait désormais l’intérieur de la mécanique de la menace qui leur tombait dessus. Il n’avait jamais vu rien de tel. Très vite, il comprit que l’ennemi avait fait en sorte qu’il ne puisse pas la désactiver. Il ne lui restait qu’une seule alternative et cela ne lui plaisait pas. Il devait faire au plus vite.

Il tapa une main contre l’autre puis les doigts croisés, murmura une formule venue du fond des âges, un sort qui ne devait pas être utilisé à la légère. Il entendit alors des voix qui en effrayeraient plus d’un. Elles lui soufflaient de tout détruire. De tout tuer. Il les sentait chercher en lui toute cette colère qu’un homme peut enfouir, même le meilleur d’entre tous. Il devait se montrer plus malin qu’eux pour ne pas succomber à leurs attentes.

Il cadenassa les coins de son cœur les plus sensibles et laissa exprès les autres à découvert. Il poussa les voix à l’intérieur de sa poitrine et, piégées dans le labyrinthe sentimental qu’il avait créé, les mena là où il voulait. Elles se logèrent dans les poches exposées et puisèrent leur contenu. Une fureur extraordinaire se diffusa dans toute sa chaire, mais il sut la contenir.

Des étincelles apparurent près de ses doigts. Il écarta alors progressivement ses paumes l’une de l’autre. Des éclairs, d’une couleur rouge sang, en jaillirent. On pouvait y sentir une incroyable force. Il remua ses mains afin de les modeler en une formidable bouge d’énergie et, soudain, propulsa cette dernière en l’air en direction de la bombe. Il s’en suivit une énorme explosion qui propulsa un souffle si intense que tout le mobilier de la terrasse tomba à la renverse, lui compris. Quand il se releva, il s’aperçut que la menace avait été détruite.

Les voix et leur force disparurent d’un seul coup pour laisser à la place une très grande fatigue. Il s’en inquiéta : que se serait-il passé si l’ennemi avait lancé deux de ces monstruosités ? Et, pour la première fois depuis qu’il avait pris ses fonctions, il n’était plus certain de pouvoir protéger Zëolia des menaces à venir. Il fit signe à l’homme qui l’avait servi et qui avait tout vu depuis sa suite.

– Pourriez-vous, s’il vous plaît, me ramener un autre de ces cafés que vous savez si bien faire ? Et, ensuite, préparez la voiture ? Je dois aller au Palais.

– Bien, Monsieur.

Il contempla le Soleil qui continuait à gagner en puissance dans le ciel. Zeölia avait été épargné un matin de plus… mais pendant encore combien de temps ?

Enrím

Cosmonaute vagabond dans l'espace rêvé, j'essaie tant bien que mal de matérialiser tout cet imaginaire qui me traverse.

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