\\ Le Monstre (suite et fin) \\
Je le vois.
Il se tient, immobile, devant moi.
Il est plus grand, plus épais, que la dernière fois.
Sa présence, seule, dégage une aura beaucoup plus sombre.
Sa fourrure de ténèbres, d’un noir intense, absorbe toute chaleur.
J’ai froid.
Je n’aime pas ça.
Il le sait.
Il règne un silence insupportable dans cette pièce devenue plus petite, plus étroite.
Quelques pas me séparent de lui.
Ses yeux de couleur topaze sont plantés dans les miens.
Je suis figé sur place.
Je sens traverser en moi une peur qui se contient, qui n’attend qu’une seule chose : se libérer.
Il renifle cette odeur comme il sentirait une bonne viande en train de cuir. Dans un sourire, il fait alors claquer sa langue entre ses crocs.
– Tu empestes…
Il continue de me fixer sans rien dire de plus.
La tension est palpable.
Je regarde le plus discrètement possible ce qui m’entoure.
La lumière est moins intense.
La peinture est écaillée.
Le sol, poussiéreux.
Je ne reconnais plus les lieux.
Ce n’est plus chez moi.
C’est chez lui.
Je distingue mal les objets posés sur les étagères. Ces souvenirs de mon autre vie. J’ai l’affreux sentiment qu’ils ne m’appartiennent plus. Qu’ils sont désormais à lui.
Reste cet instrument de musique polyphonique qui nous sépare… le piano.
Le seul épargné par l’usure, la moisissure, qui ont rongé tout le reste.
Il comprend que je suis dans mes derniers retranchements.
Qu’il ne reste plus que ça pour m’atteindre.
Pour que ma dernière ligne de défense tombe.
Que je signe enfin ce contrat qu’il me tend depuis le début.
– Le jeu est fini, me dit-il. Il est temps de me rejoindre.
Il s’assoit devant le piano, aiguise ses griffes comme on aiguise des couteaux, et frappe avec violence ses pattes contre les touches.
Les cordes vibrent.
Les notes sortent.
Inhumaines.