\\ La Colline \\
Une étrange poussière s’amusait à danser dans mes cheveux, à se coller sous mes paupières. Je l’avais même soupçonné de s’être glissée dans un poumon ou deux, à ma façon de cracher le peu d’air que j’osais inspirer.
La cape tentait, avec toute la volonté des mondes, de me protéger de la tempête qui s’était levée en même temps que mon arrivée. Elle avait déployé son tissu magique tout le long de mon corps, épousé une forme particulière pour contrer au mieux l’intempérie. Malgré tout, la violence de la bourrasque était telle que j’avais le visage fouetté à sang, la peau brûlée à vif.
Les particules volantes étaient denses. J’avançais à l’aveugle en tâtant instinctivement un peu partout. Mes mains cherchaient désespérément une prise pour s’appuyer mais ne la trouvaient pas. Je n’avais aucune idée de l’endroit où je me trouvais. Tout ce que je savais c’était que je montais une pente assez raide.
Je ne voyais rien mais j’entendais trop. Ce n’était que du vacarme à perte de vue. Le vent sifflait si fort qu’il cognait brutalement contre mes tympans, resonnait intensément dans ma tête. Je voulais devenir sourd tellement que mes oreilles me faisaient mal.
Chaque pas me semblait dérisoire. J’étais sans cesse rejeté en arrière, comme si je ne pesais rien. Je résistais de mon mieux mais l’onde de choc du souffle se répercutait dans tout mon corps. La vibration traversait mes bras jusque dans ma poitrine, ma mâchoire et mes dents. J’avais le goût acre du sang sur ma langue. Mes os blancs tremblaient les uns contre les autres. Je ressentais mes côtes comme de la laine sur un métier à tisser. Je me sentais tendu par la douleur.
En plein cœur de ces ténèbres, la peur m’avait gagné. Je ne pouvais m’empêcher de penser que j’allais mourir, que mon corps allait se décomposer, se désintégrer, finir lui aussi en poussière et alimenter cette foutue tempête.
Mais alors que j’allais m’écrouler, mes doigts touchèrent quelque chose de solide. Sa composition me rappela la pierre. Je m’y agrippai comme un fou avant de me jeter contre elle. Je la serrai si fort contre moi ! Pour me tenir, m’accrocher à la vie.
Soudain, la tristesse rentra dans la chambre de mon cœur et je ne pus m’empêcher de pleurer. Je fus saisi de violents sanglots impossibles à contenir.
– Hey, tu te sens bien ? me demanda la cape.
Je ne l’entendis pas. Le vent avait emporté tous ses mots. Mes maux, quant à eux, étaient bien là. Ils s’ancraient plus loin dans mon âme, comme des poids me coulant un peu plus dans une eau profonde, m’empêchant de remonter.
La cape chercha à comprendre ce qui m’arrivait puis, d’un coup, sut la raison de mon comportement :
– C’est le rocher ! me lança-t-elle.
– Hein… quoi ?! arrivai-je à crier.
– Ne le touche plus ! hurla-t-elle plus fort. Décroche-toi de là !
Il m’eut fallu accomplir un effort monumental, long et atroce, pour me remettre debout avant de m’éloigner du bloc. Je n’avais pas fermé les yeux mais j’eus l’impression de les ouvrir pour la première fois depuis longtemps. Aussitôt, mes pensées les plus sombres s’envolèrent, comme si j’avais cauchemardé en plein éveil.
La tempête se calma enfin. La chute de la poussière fit alors apparaître deux grands soleils dans un ciel magnifiquement bleu.
Je repris conscience de mon corps : mon cœur battait à la chamade, mes jambes tremblaient, mon ventre me faisait mal… mais j’étais vivant.
Je m’assis un instant et je me sentis mieux. J’avais attendu, encore et encore, jusqu’à ce que mon cœur trouvât en elle l’apaisement nécessaire pour retrouver un rythme normal. J’avais la tête lourde. Sûr que sans la cape je n’aurais été plus là.
En me redressant doucement, je découvris une colline recouverte de fleurs à en couper le souffle. Je n’en avais jamais vu de pareilles. Elles étaient, à ma plus grande surprise, en excellente état. La tempête n’en avait pas abîmé une seule.
Comment pouvaient-elles restées intactes alors que j’étais écorché méchamment de partout ? Elles ressemblaient à des roses mais d’une forme improbable. Elles étaient de couleur rouge.
Rouge sang.
Je regardai soudain mes paumes abîmées… l’horreur me saisit.
Je me retournai alors vers la pierre sur laquelle je m’étais tenu. Ce que j’avais pris pour de la roche n’en était pas. La vérité m’éclata au visage…
Cette chose m’avait absorbé pour nourrir ces fleurs ! Elle m’avait rendu fou de désespoir pour que je ne me déplace plus ! Pour que ces fleurs se régalent de mon hémoglobine !
Elles étaient resplendissantes…
Je ne voulus pas rester plus longtemps dans cette zone mortelle. Je m’enroulai dans le tissu, que je bénis une fois de plus, prononçai une formule puis disparus aussitôt ailleurs.