\\ Le Vagabond \\

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\\ La Dévoreuse \\

Je me tenais près de mes souvenirs, prêt à payer tous les prix des mondes pour qu’ils restassent en moi.

Une effrayante chose voulait me les arracher et je ne comptais pas la laisser faire.

Je la sentais se glisser dans ma conscience comme une araignée tissant sa toile, parcourir les couloirs et les pièces de mon mental. Elle y diffusait des images qui ne m’étaient plus permis de voir depuis longtemps.

J’y avais d’abord cru.

J’avais retrouvé ma mère, cette gentillesse personnifiée, avec ses gâteaux à la cannelle, qui me demandait d’y tremper le doigt.

J’avais retrouvé ma petite sœur, cette rebelle indomptable, toujours prête à se battre avec tout le monde mais qui se blottissait toujours contre moi.

Ça m’avait fait tout drôle là-dedans. Je m’étais précipité vers elles. J’avais voulu les prendre dans mes bras. Leur dire ô combien elles m’avaient manqué.

Mais ma cape magique s’agitait énergétiquement dans l’air. Elle me fouetta subitement la joue gauche pour que je revienne à moi. Elle me prévenait du danger que je courais, du poison qui s’immisçait dans mon esprit.

– Ne te laisse pas faire !

Avec toutes les peines des mondes, j’acceptai.

Je fis un plongeon dans les magnifiques rêves qui m’assaillaient, je pris les images, magnifiquement trompeuses, et, d’un coup, les figeai. Je saisis les sons, et les réduisis en silence. Je mis tout en arrêt et tout s’effaça.

Je crus alors en avoir fini, mais la puissance de la bête revint. Plus forte et plus cruelle à la fois. Je sentis la créature me plier en deux, en quatre, en huit, non, en centaines, non, en milliers, millions, milliards… 

Je compris qu’elle s’était juste amusée jusque-là, qu’elle n’avait fait que tester ma pauvre résistance d’être humain, et qu’elle allait désormais passer aux choses sérieuses.

Ce qu’elle fit.

Ma mère et ma petite sœur revinrent, plus réelles que jamais. J’étais prêt à refaire la même chose pour me libérer de ces illusions mais subitement, entre elles, je le vis.

Son regard intense, si vert, que je croyais à jamais disparu, croisa le mien et me laissa planté bêtement là. Il me lança un sourire ravageur qui me mit dans tous mes états.

Ses lèvres sucrées m’appelaient, m’appelaient, m’appelaient…

Le passé coula comme un fleuve dans mon présent, et je jure que je m’y serais laissé emporter et m’y noyer à jamais si j’avais pu encore une fois les goûter !

Pendant ce temps, la créature avait posé sa patte mentale entre mon esprit et mon cœur. Elle tirait avec une violence rare sur le moindre fil qui passait entre ses griffes. Il y en avait beaucoup mais l’énergie qu’elle déployait pour les arracher me terrifiait.

Un d’entre eux tout-à-coup s’enleva et le bonheur que j’eus en apprenant la naissance de ma petite sœur me fut enlevé pour toujours.

L’un des plus beaux moments de ma vie devint à mes yeux un événement quelconque. Neutre. Sans valeur. J’eus beau me rappeler de ce passage… je n’y ressentais plus rien.

Je compris alors que la bestiole ne voulait pas prendre mes souvenirs. C’était pire que cela : elle en avait après mes émotions. Elle se nourrissait de mon humanité !

Mais la cape me fouetta à nouveau, la joue droite cette fois-ci. Je revins à nouveau dans la réalité.

– Ce ne sont que des illusions. Brise-les une bonne fois pour toute… cette chose aussi !

Je me suis alors laissé retomber au plus profond de la toile puis au lieu d’immobiliser les tromperies je les ai cassées.

Je pris ma mère et lui mis la tête dans le four bouillant de la cuisine, j’attendis que sa tête brûla et que ses cris se turent.

Je pris ma petite sœur et lui brisa la nuque d’un coup sec.

Enfin, je le vis, et toujours en fermant mon cœur à double tour, je me jetai sur son cou et l’étranglai de toutes mes forces, les yeux noyés. J’hurlais avec toute la rage qui se logeait en sac de nœuds tout au fond de mon ventre et alors tout avait explosé.

Puis mes yeux clignèrent et j’eus un hoquet de surprise. Ce que j’avais pris pour une colossale bête n’était rien d’autre qu’un insecte pas plus grand qu’un cafard.  Je ne voulus pas prendre de risques. Je levai mon pied puis l’écrasa de tout mon poids.

Plusieurs fois.

– Tu as réussi !

Je m’écroulai.

En sueur, les yeux engorgés de sang, les poumons en feu.

J’étais de retour.

Enrím

Il paraît que je m'égare souvent dans la forêt de mes rêveries. J'aime passer mon temps libre dans le monde sauvage de l'imaginaire pour en arracher des pensées, des histoires, des notes, des nouvelles, des poèmes.

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