Les Vies d’Estelle(s)

L

18. Comme une ennemie à abattre

Estelle se réveilla, assise sur une chaise, dans une pièce sombre et humide… certainement en sous-sol. Elle avait les mains et les pieds liés par une corde épaisse. Elle en testa la solidité : c’était du travail bien fait. Les nœuds étaient complexes et il était impossible de s’en défaire. Elle ne pouvait même pas bouger d’un centimètre.

Elle avait un mal de cœur terrible et fut à deux doigts de vomir. Dans un effort incommensurable, elle se retint. La femme était assez fière de sa personne et ne souhaitait aucunement que quelqu’un la voit dans une faiblesse physique, pas même… elle-même.

Elle avait justement devant elle une autre Estelle. Celle qui l’avait endormie et kidnappée. Elle fut stupéfaite : elle ne parvenait pas à l’identifier. C’était impossible ! Elle connaissait toutes ses vies et, en se comptant dedans, elles étaient encore six ! Comment pouvait-il y en avoir une septième ?! Ils possédaient la technologie nécessaire pour toutes les géolocaliser !

Pourtant. Oui, pourtant, une jumelle inconnue se tenait devant elle, beaucoup plus musclée que n’importe qui. Cette Estelle était très impressionnante et n’était pas la femme svelte qu’elle(s) étai(en)t. Beaucoup plus épaisse, ses bras, ses jambes, et même son torse ainsi que sa taille, avaient des dimensions surprenantes.

La prisonnière comprit alors ce qu’il s’était passé mais ne pouvait pas partager l’information avec sa ravisseuse : cela aurait été lui dévoiler la vérité et elle ne pouvait pas le faire. Cela aurait été perdre tout ce qu’ils avaient entrepris jusqu’ici. Elle ne pouvait pas le décevoir. D’ailleurs, il avait probablement déjà constaté sa disparition. Il allait forcément agir. Elle devait gagner du temps. Oui… gagner du temps contre elle-même.

L’athlète la regarda comme une ennemie à abattre, ce qui gêna la jeune femme ligotée. Cette dernière ne dit rien et tenta de conserver une expression neutre. Elle allait forcément lui poser une question.

– Qui es-tu ?

Logique. Elle aurait demandé la même chose. Elle pouvait jouer la carte de la sincérité sur ce tableau.

– Je suis toi. Enfin, une des toi. Comme tu es une des moi. Je suis Estelle Ila. Et toi ?

– Estelle Ila… répéta simplement la femme forte. Et comment ça se fait que tu ne sois pas liée à nous ?

À cette interrogation, elle ne pouvait pas vraiment répondre en toute franchise.

– J’étais auparavant l’une de vous. Et je le suis toujours. Mais j’ai su quelque chose et il m’a fallu me… détacher de vous toutes. Pour notre bien.

– Et donc pour notre bien tu nous tues les unes après les autres ? demanda froidement l’athlète sans montrer la moindre émotion.

Estelle Ila afficha une grimace. Présentée sous cet angle, elle ne pouvait que mal répondre.

– C’est plus compliqué que ça, dit-elle.

L’Estelle musclée leva un sourcil.

– Hé bien, j’ai tout mon temps.

– Non, justement, du temps, on n’en a presque plus ! lança-t-elle comme un cri du cœur. Si tu ne me libères pas maintenant, nous sommes toutes perdues !

La ligotée était devenue toute rouge. Elle n’arrivait pas vraiment à contenir ses émotions.

La sportive la fixait, interdite.

– Estelle Ila… je sais que tu viens de ce monde. Explique-nous ta vie. Oui, je dis nous car, comme tu le sais, je suis liée aux autres et que nous t’écoutons toutes à l’heure actuelle.

Expliquer sa vie. Estelle ne put se retenir de rire jaune. Si elles savaient… mais elle ne le pouvait pas.

– Je viens bien de ce… monde. Je suis… enfin, j’étais vétérinaire.

– Comment ça se fait que nous ne souvenons pas de toi ?

– Se défaire de ses liens est plus difficile que ceux qui m’attachent actuellement, dit-elle avec ironie. Mais, quand on y arrive, cela provoque une amnésie complète chez toutes les autres. Ne me demande pas comment ni pourquoi, je ne sais vraiment rien à ce sujet… peut-être un mécanisme de défense.

– D’accord. Qui sont tes complices ?

Estelle Ila resta silencieuse.

L’autre Estelle monta le ton.

– Si tu ne coopères pas ça se passera mal pour toi. Nous nous fichons de savoir que tu fais partie de nous. Tu veux mettre fin à nos existences alors s’il faut que nous mettions fin à la tienne pour exister nous n’hésiterons pas.

Ces mots la glacèrent jusqu’au sang. Elle ne se serait jamais crue capable de préméditer une telle chose mais elle comprenait cette réaction. De leur point de vue, elles estimaient qu’elle avait commis deux meurtres. Elle aurait tellement voulu leur raconter. Cela aurait été tellement plus simple.

– Nous savons que tu as au moins un complice. Nous t’avons entendu lui parler par… cette montre.

Elle lui montra l’objet en question.

Merde. Elle ne savait pas qu’on le lui avait retiré. Elle vit toutefois là une chance : la montre était toujours allumée. Cela signifiait qu’il pouvait toujours la géolocaliser.

Elle devait gagner du temps, oui, mais comment ?

Enrím

Il paraît que je m'égare souvent dans la forêt de mes rêveries. J'aime passer mon temps libre dans le monde sauvage de l'imaginaire pour en arracher des pensées, des histoires, des notes, des nouvelles, des poèmes.

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