Les Vies d’Estelle(s)

L

14. En proie à des questionnements

Tandis que les comédiens se pressaient dans les coulisses pour la pièce qui allait commencer dans moins de dix minutes, Estelle restait assise sur sa chaise. D’apparence tranquille, elle était en proie à des questionnements que se partageaient plus ou moins tous ses êtres.

La comédienne était fixée sur l’énigme de la montre. Elle « s’était » vue -elles n’arrivai(en)t toujours pas à s’identifier à cette existence -, lors de la poursuite, attendre le décompte affiché sur l’écran d’une montre attachée à son bras avant de lui ordonner de la « dématérialiser ». Et, par un mécanisme mystérieux, elle avait soudainement disparu. Elle était partie sans laisser la moindre trace.

Qu’est-ce que cela pouvait-il bien signifier ? Pourquoi vouloir la fuir ? Et comment une simple montre pouvait faire disparaitre une personne ? Était-ce une sorte de machine à téléportation ? Pour aller où ? Elle savait que cette Estelle pouvait aller d’un monde à un autre puisqu’Alban, un client de la foraine, l’avait vu et l’avocate également. Cela signifiait donc qu’elle n’était pas la seule à connaître l’existence de ces multiples mondes et cette nouvelle la terrorisait.

Ailleurs, la doctoresse était en train de diagnostiquer un patient tout énervé du retard qu’elle avait pris pour s’occuper de lui. Elle était, comme toutes les autres, de moins en moins efficace à force de cumuler nervosité, fatigue et anxiété.

  • Vingt minute de retard ! cria-t-il. C’est inadmissible ! Heureusement que vous êtes réputée l’une des meilleurs de la ville sinon je serais déjà parti !
  • À nouveau, je vous prie de bien vouloir m’excuser, répondit-elle platement. Cela ne se reproduira plus.
  • Il y a intérêt ! répliqua-t-il mais avec un ton moins haut.

Estelle s’en fichait bien de son avis. Elle avait la tête ailleurs. Elle voulait avoir les réponses à ses questions.

Est-ce que cette femme qui n’était pas liée à elle(s) était aussi celle qui avait tué l’écrivaine ? Cela lui paraissait inconcevable. Pourquoi vouloir se faire du mal à soi-même ? Elle aurait tellement voulu l’attraper, qu’elle lui réponde. Elle voulait savoir. C’était insoutenable.

Ailleurs, l’avocate, devant son bureau, continuait, de manière très pénible, ses conclusions en réplique pour la plus grande affaire de son cabinet. Ses associés, étaient venus la voir pour faire part de leurs inquiétudes quant à la bonne tenue du dossier et lui avaient proposé de le continuer tout en s’assurant de bien citer son nom « à chaque fois que c’était nécessaire ». Elle avait décliné. Elle n’avait pas besoin d’eux et ne voulait de l’aide de personne. De toutes les façons, elle savait que derrière cette aide se cachait l’envie malhonnête de se mettre en avant dans un contentieux très prisé par les médias. Elle se savait à la traîne, comme toutes les autres. Mais elle allait réussir sur toutes les plans. Seule(s).

Elle reprit les interrogations de la doctoresse. Si cette Estelle n’était pas la meurtrière, cela signifiait qu’elle avait un complice qui avait osé commettre cet acte. Qui était-ce ? Un ami de l’une d’entre elles ? Elle fit le tour de toutes les personnes qu’elle(s) connaissaisai(en)t, et elles étaient nombreuses, sans pouvoir établir le moindre  soupçon ne serait-ce que sur un seul individu. Personne jusqu’ici avait cherché à lui faire du mal. Elle(s) travaillai(en)t énormément et elle(s) faisait(en)t tout pour son/leur prochain. Elle savait(en)t qu’elle(s) ne vivait(en)t pas dans le(s) monde(s) des bisounours mais rien ne justifiait une telle action malfaisante à son/leur égard… alors pourquoi ?

La foraine continua les interrogations. Oui, pourquoi agir contre elle(s) de la sorte ? Quelle en était la motivation ? Elle(s) ne pouvai(en)t croire en ces actions si réfléchies pour le simple plaisir de les commettre. Il y avait forcement une tête pensante derrière tout cela, un homme ou une femme qui…

Mais elle n’eut pas le temps de terminer ses réflexions. En traversant une rue, alors qu’elle était sur le passage piéton, alors que le feu était au rouge depuis quelques secondes, un véhicule noir, aux vitres teintées, fonça à toute allure sur la foraine qui s’éclata tête la première contre le pare-brise. Elle s’envola dans les airs avant de retomber lourdement, inerte, au sol.

Estelle Mino n’était plus de ce monde.

La voiture, quant à elle, continua son chemin comme si de rien n’était.

Il n’y avait eu aucun témoin.

Enrím

Il paraît que je m'égare souvent dans la forêt de mes rêveries. J'aime passer mon temps libre dans le monde sauvage de l'imaginaire pour en arracher des pensées, des histoires, des notes, des nouvelles, des poèmes.

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